Paysage postal.
Le paysage est une expérience difficile à partager. Il demande
du temps. Il demande qu'on l'explore, les cinq sens en alerte. Lors
d'un voyage, on choisit souvent de prendre un maximum de vues, l'ère
numérique nous aidant largement en ce sens. Lorsque nous
utilisions encore des pellicules, les photographies de voyage
allaient à l'essentiel : les personnes qui nous entourent et
l'environnement. L'image ultime des voyages pourrait être la carte
postale. Cette variation autour d'un même lieu, d'un même point de
vue qui semble aujourd'hui désuet. Image idéale, lente à
transmettre, est à l'opposé de la photographie numérique, vraie et
quasi instantanée à envoyer. La carte postale est un objet très
personnel et peu commun, là où les plateformes internet permettent de
poster une multitude d'images à la vue de tout le monde. Sitôt vues, sitôt oubliées. L'expéditeur et le destinataire établissent une relation
particulière, même si le texte au dos de la carte est bien souvent
rempli de lieux communs.
Cette relation désuète, c'est l'une des caractéristiques de mon
projet. j'ai donc décidé de créer plusieurs images, en restant dans les codes classiques de la carte postale
(cadrage, typographie légèrement kitsch). Pour rester dans la
grande tradition du paysage, je
propose des cartes postales autour de la ruine contemporaine,
notamment les blockhaus issus de la Seconde Guerre Mondiale. Ayant
grandi sur un territoire rempli de ces vestiges, la Côte d'Opale,
cette Histoire m'est tellement familière qu'elle m'est presque
devenue transparente. Dans le sens où je n'y vois que des ruines de
béton qui s'enfoncent plus qu'elles ne s'effondrent. Des structures
géométriques inhabituelles. Des architectures inhabitables. Des monolithes (cf. "Bunker Archéologie" de Paul Virilio).
Ce n'est donc pas tant l'Histoire que je cherche à transmettre,
mais bien l'idée d'un vestige de l'Histoire. Et quoi de mieux que
d'envoyer ce genre de carte dans un lieu qui lui fait écho. Les cartes ont été envoyées en divers lieux touristiques dans le monde. "Bons baisers de France" était inscrit au dos de chaque carte, et une notice explicative du projet demandait à renvoyer une carte.